ou : « Grace, Viking et Mayaluga »
« Grace », un voilier de Namibie est arrivé ici il y a quelques semaines, en panne de moteur. Gary, son skipper, navigue en solitaire. Il est anglais de naissance, mais a quitté son pays à l’âge de 19 ans, sans un sou, « pour découvrir le monde ». Sa famille lui donnait quelques semaines au plus avant de revenir et de se « ranger ». Mais Gary n’est jamais rentré en Angleterre. Il a fait mille métiers avant d’aboutir en Namibie, « le plus beau pays au monde » nous a-t-il dit. Il y pratique le métier de guide, dans le désert. Il en parle avec une passion palpable. Je lui fais remarquer que la mer et le désert… oui, c’est pareil me coupe-t-il. Deux endroits où l’homme, théoriquement, ne peut survivre. Deux endroits qui nécessitent les mêmes qualités et les mêmes talents pour s’y mouvoir. Des drogues dures, aussi séduisantes l’une que l’autre, ça se voit à ses yeux qui brillent.
Gary a dû rentrer chez lui avant que son moteur ne soit complètement réparé, parce que c’est la saison des safaris photos là-bas. Et le travail l’attend. Il est très en demande. Je lui demande naïvement s’il voit à chaque sortie des lions, des éléphants, des girafes… Il répond à la blague « évidemment, sinon je perdrais mon job ». Mais plus sérieusement, il dit que jusqu’à présent il a été chanceux et en a vu lors de toutes ses expéditions même s’il ne sait pas toujours où aller exactement nous assure-t-il. Il nous invite à nous y rendre pendant que c’est encore « allable ». Bientôt, ça va être découvert cet endroit merveilleux, et ça cessera de l’être. Lui, il va revenir à Fiji en janvier prochain, pour naviguer, pendant la saison des cyclones ! Quoi ? Pour vrai ? Oui, c’est la saison creuse en Namibie. Et il préfère être à bord de Grace pendant cette saison-là, pour parer les coups et voir à protéger son bateau. Il assume fièrement ses choix qui vont à l’encontre de ce que tout le monde fait. Ça lui a servi toute sa vie.

Vaughan (prononcer Von), un Australien atypique (il n’a aucunement l’accent Aussie) avait avec sa femme le rêve de naviguer. Ils se sont fait construire un superbe voilier. Mais elle est décédée subitement avant la fin de la construction, C’était il y a 5 ans. Vaughan a décidé de garder leur voilier tout neuf « Viking » et l’a mis au service d’une œuvre caritative qui tente d’attirer l’attention mondiale sur les déchets de plastique dans l’océan. Il héberge donc des biologistes ou autres naturalistes et part en expédition, à la cueillette d’échantillons d’eau. Et un peu comme Gary qui spotte des éléphants, lui, à chaque sortie – à chaque puise vraiment – il trouve du plastique sous toutes ses formes. Et le plastique a la propriété d’attirer les substances toxiques. Mais aussi, parce qu’il a l’odeur du plancton et la couleur des méduses – la faune aquatique s’y méprend et l’ingère… pour en crever. Selon lui, il n’y a pas un seul endroit sur la planète, aussi reculé soit-il, qui ne soit infesté de particules de plastique en suspension. Je vous mets le lien d’une vidéo éloquente dans laquelle il évoque ce travail qui le passionne, mais qui laisse encore trop de monde (et de décideurs) indifférent, à preuve la consommation effrénée de sacs de plastique partout dans le monde et leur rejet dans l’océan-poubelle. Ça s’intitule « Viking plastic trawl » :
https://www.youtube.com/channel/UCQZUPYD9QmOAHMdzuCB7EIA
« Mayaluga » c’est le nom d’un voilier appartenant à un jeune homme, Richard. Un voilier qui est témoin du coup de foudre de Richard et Tami. Le couple de fiancés (dans la jeune vingtaine, follement amoureux) tous deux passionnés de navigation à voile se font offrir de convoyer un voilier de luxe de Tahiti jusqu’aux Etats-Unis.
Ils décident d’accepter.
Ils quittent Tahiti et après moins d’un tiers du trajet parcouru, ils font la rencontre d’un ouragan hors-saison, qu’ils essaient en vain d’éviter en poussant plus au Nord.
Un ouragan en mer, c’est terrible. On n’a pas idée de la force déployée. Dans le gros de la tempête, Richard persuade Tami d’aller à l’intérieur pour se reposer. Elle y va à contre cœur. Elle entend alors un grand bruit, est projetée sur les flancs du voilier et perd connaissance. Elle se réveille 27 heures plus tard, la tête en sang et avec plein d’eau dans le bateau. Tout est sans dessus-dessous, mais la tempête est terminée. Elle titube dehors jusqu’au cockpit et réalise qu’il y a trop de ciel. Plus de mât. Plus de voile. Plus rien, tout a été arraché du pont. Mais surtout plus de Richard. La courroie de son harnais de sécurité pendouille. Il a été emporté par la vague qui a fait chaviré le bateau. Plus d’instruments non plus.
Elle veut mourir.
Mais elle se ressaisit éventuellement. Trop de douleur appelle une forme d’action. Elle se fait un mât de fortune avec un morceau de tangon qui est encore intact. Et une petite voile. C’est avec l’aide d’un sextant (dont elle connaît heureusement le maniement) et d’une montre qu’elle arrive à s’orienter dans la bonne direction. Elle mange peu, des aliments en boîtes rescapées. Elle boit à peine. Elle est en survie. Ça lui prendra 41 jours avant d’arriver à Hawaï.
C’est cette histoire vraie de Tami Olham Ashcraft, tel que raconté dans « Red Sky in Mourning » qu’évoquera le film qui sera tourné incessamment à Fiji avec Mary Madeleine dans le rôle de Mayaluga.
http://www.goodreads.com/book/show/957533.Red_Sky_in_Mourning
Il me revient en tête une phrase d’un ami marin français, Pierre, rencontré à Fiji il y a deux ans, puis revu l’an passé et revu encore cette année. Pierre avec qui on avait sympatisé à cause de la langue, mais aussi autour de textes de chansons et de poèmes de Brel et de Félix Leclerc. Pierre dont le solide voilier « Altaïr » était planté dans un « pit » et rien ne laissait croire qu’il était à vendre depuis plusieurs années. Pierre qui a finalement vendu son bateau une semaine environ avant que nous vendions le nôtre. Quand est venu le jour de la mise à l’eau pour la sortie en mer, le moteur a démarré au quart de tour. Mais il a eu une voie d’eau. Il a fallu le remonter tout de suite pour faire la réparation.
C’est à la fin de cette journée éprouvante qu’il nous a dit « Ce n’est pas l’eau du dehors qui va te couler, c’est l’eau du dedans. Alors gare à tes émotions ».
Alors comme cette ultime journée à Fiji est très émouvante pour nous avec les innombrables marques d’affection de la part d’amis, de membres du personnel et le dernier adieu à Mary Madeleine, je vous laisse avec cette magnifique chanson de Jacques Brel, qui a été un peu notre hymne lors de nos voyages : « La Cathédrale ».
https://www.youtube.com/watch?v=rWJFnhnUtxY
Nous tournons la page.
Mais l’aventure continue.
Adieu Mary Madeleine